Jean-Marc Jacquier est mort chez lui ce 25 mars au matin, des suites du covid-19. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans tout l’arc alpin, où il ne comptait que des amis.
Jean-Marc Jacquier en janvier 2017. Photo DR.
Impossible d’oublier Jean-Marc quand on ne l’avait croisé ne serait-ce qu’une fois, tellement le personnage était charismatique : il faut dire qu’on ne pouvait pas passer à côté de ce grand barbu portant l’accordéon en bandoulière, avec son éternel béret (parfois remplacé ces dernières années par un chapeau) et ses bretelles décorées d’edelweiss. Et, sous un premier abord parfois bourru, une sacrée bonhommie quand on apprenait à le connaître (un "dur au cœur d’or", comme on dit !) et une volonté de transmettre son savoir.
Depuis cinq décennies, Jean-Marc sillonnait la Savoie et le reste des Alpes pour en recueillir le patrimoine musical. Il avait commencé son « collectage » des musiques traditionnelles au début des années 1970, à l’époque où le mouvement folk battait son plein : à l’image de nombreux autres jeunes passionnés nés comme lui dans l’immédiat après-guerre, il rendait visite aux chanteurs et instrumentistes du monde rural, héritiers d’une civilisation paysanne déjà en pleine mutation. Ses enregistrements constituent aujourd’hui un véritable trésor, conservé par le Département de la Haute-Savoie ainsi que par l’association Terres d’Empreintes en ce qui concerne les enquêtes les plus récentes (ses recherches n’ont en effet jamais cessé). On y découvre un univers musical alpin d’une grande richesse, et se jouant des clichés : la beauté des chants collectifs en polyvocalité (aussi répandus dans les Alpes qu’en Corse ou dans les Pyrénées), la virtuosité des violoneux de montagne…
En 1974, aux côtés de Diego Abriel et Anne Osnowycz, il avait fondé le groupe La Kinkerne, dédié à la réinterprétation de ces musiques, et qui avait fêté en 2019 ses 45 ans d’activité ! Nombreux sont les musiciens qui ont rejoint cet ensemble à géométrie variable au fil des années. Ils venaient bien sûr de toutes les Alpes, tant les frontières n’existent pas quand on parle de musiques alpines : on retrouve un même état d’esprit de camaraderie et de convivialité dans tout le « Triangle du Mont-Blanc » (expression que l’on doit à Jean-Marc et qui permet de réunir sous une même appellation la Savoie, le Valais et le reste de la Suisse romande, ainsi que la Vallée d’Aoste et le Piémont). Et Jean-Marc était en quelque sorte le pilier, la figure tutélaire, de ces échanges transfrontaliers. Il avait d’ailleurs mis à profit ce carnet d’adresses très international pour programmer, durant quelques années à Faverges (Haute-Savoie), le festival Musik’Alpes, dont l’objectif était de mettre en valeur toutes les musiques de nos montagnes, « de Stephan Eicher au cor des Alpes » !
Pour couronner le tout, c’était un brillant musicien : formé dans sa jeunesse en tant que tromboniste à l’harmonie de Ville-la-Grand (où jouait déjà son papa), puis en tant qu’accordéoniste « musette », il avait découvert le jazz à l’adolescence, vouant notamment un culte à Duke Ellington, avec qui il avait sympathisé et dont il avait suivi les tournées européennes au début des années 1970. Cet éclectisme musical se retrouvait dans sa carrière de musicien « trad », et on le surprenait parfois à se lancer dans un chorus endiablé à l’accordéon lors d’un concert ou d’un bal folk. Cette passion s’était concrétisée ces dernières années par la création du trio Hors-Pistes (aux côtés d’Yves Cerf et Bruno Duval), mêlant jazz et musiques alpines.
Cet éternel bon vivant, grand connaisseur des vins de Savoie et grand ami des vignerons, Savoisien militant, avait bien sûr recueilli au cours de ses pérégrinations bien plus que des airs à danser et des chansons : histoires drôles, expressions savoureuses en langue francoprovençale, recettes de cuisine (passionné de ce plat traditionnel, il obtint en 2007 le premier prix du « Concours de farcement du Pays du Mont-Blanc » !)… bref, tout ce qui constitue le patrimoine culturel immatériel des Alpes, et qu’il avait un grand plaisir à faire connaître aux jeunes générations, notamment ces dernières années au sein de l’association RETA, basée dans la Vallée verte en Haute-Savoie.
Notre association Terres d’Empreintes avait eu le plaisir de publier, en 2017, un livre-CD intitulé « La Kinkerne, 40 ans ! », écrit en lien avec Jean-Marc, et qui revient en détail sur son parcours personnel ainsi que sur l’histoire du groupe. En 2019, nous publiions, en partenariat avec le festival Feufliâzhe, l’ouvrage « Danses de Savoie et du Valais. Carnet de bal de Jean-Marc Jacquier », bilan de décennies de recherches sur les danses traditionnelles alpines. Et depuis quelques mois, nous travaillions avec lui sur une nouvelle publication consacrée aux violoneux de Savoie, fascinants représentants d’une tradition musicale dont il avait enregistré les derniers dépositaires. Il faudra achever le travail sans lui.
Nous avons une pensée particulière pour sa famille.
Un Jacquier qui meurt, c’est un peu une bibliothèque qui brûle, et il aura brûlé la sienne par les deux bouts ! Merci pour tout, Jean-Marc.
Guillaume Veillet au nom de toute l'équipe de Terres d'Empreintes.
Comments